Depuis plusieurs années déjà, la corruption fait partie, à l’instar du blanchiment, des préoccupations majeures des organisations internationales sur le plan pénal. Afin de se conformer aux obligations contenues dans les principaux traités internationaux en matière de corruption, la Suisse a révisé ses dispositions à plusieurs reprises, d’abord en 2000, puis en 2006[1]. Depuis lors, la plupart des organisations non gouvernementales et des institutions intergouvernementales s’accordent à dire que la Suisse fait partie des bons élèves en matière de corruption[2].
Cela dit, la Suisse est extrêmement exposée à la menace que représente la corruption pour son économie. D’une part, parce qu’elle est fortement engagée sur les marchés financiers internationaux où la règlementation est parfois insuffisante et, d’autre part, parce qu’elle abrite un grand nombre d’organisations sportives nationales et internationales, lesquelles ont pu, historiquement, être exposées à des affaires de corruption[3].
C’est en particulier l’« Affaire FIFA » et la démonstration de l’inaptitude du droit suisse à appréhender la corruption dans les affaires privées qui a, entre autre, donné l’impulsion à cette nouvelle modification des normes en matière de corruption.
Cependant, la réforme du droit suisse en matière de corruption ne s’est pas limitée à la seule corruption privée. Le champ d’application de l’octroi et de l’acceptation d’un avantage indu par les agents publics a également été étendu[4].
En effet, entrée en vigueur le 1er juillet 2016, la révision du Code Pénal suisse du 21 décembre 1937(« CP ») comprend principalement les trois aspects suivants : la suppression du lien entre corruption privée et concurrence déloyale, la poursuite d’office de la corruption privée et enfin, l’élargissement du champ d’application des dispositions incriminant l’octroi et l’acceptation d’un avantage indu par un agent public.
Suppression du lien entre corruption privée et concurrence déloyale
Avant le 1er juillet 2016, l’infraction de corruption dans le domaine privé demeurait à l’art. 4a de la Loi fédérale contre la concurrence déloyale du 18 décembre 1986 (« LCD ») et était ainsi subordonnée à l’existence d’un marché, soit une situation dans laquelle l’acte de corruption « influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients » (art. 2 LCD)[5].
Ainsi, lorsqu’un acte de corruption, soit le fait d’offrir ou de recevoir un avantage indu pour l’exécution ou l’omission d’une tâche contraire à une obligation ou qui dépend d’un pourvoir d’appréciation, intervenait hors d’une situation de concurrence, par exemple, dans un contexte de monopole, la corruption privée n’était pas punissable[6]. L’incohérence du fait de traiter deux comportements similaires de manière différente selon le contexte dans lequel elles se déroulent devait ainsi être corrigée[7].
De plus, l’attribution de l’organisation des grandes manifestations sportives comme les Jeux Olympiques ou la
Coupe du monde de football échappait au champ d’application de l’ancien art. 4a LCD, la compétition entre les villes candidates ne relève, en effet, pas d’une relation concurrentielle au sens de la LCD[8].
Désormais, la corruption privée figure aux art. 322octies et 322novies du Code pénal, traitant respectivement de la corruption active et passive. Par conséquent, la répression de la corruption privée est aujourd’hui autonome et n’est plus donc soumise au champ d’application de la LCD. Partant, elle n’est plus conditionnée à l’existence d’une situation de marché.
Les art. 322octies et 322novies CP répriment dès lors, le fait « (…) d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indu à un employé, un mandataire ou un autre auxiliaire d’autrui dans le secteur privé, en faveur de cette personne ou d’un tiers, pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité professionnelle ou commerciale et qui est contraire à ses devoirs ou dépend de son pouvoir d’appréciation (…) » (corruption active) mais également le fait de solliciter, de se faire promettre ou d’accepter « en tant qu’employé, en tant qu’associé, en tant que mandataire ou en tant qu’autre auxiliaire d’autrui dans le secteur privé (…) un avantage indu pour l’exécution ou l’omission d’un acte en relation avec son activité professionnelle ou commerciale et qui est contraire à ses devoirs ou dépend de son pouvoir d’appréciation (…) » (corruption passive).
Cela dit, les avantages convenus par contrat ou autorisés par le règlement de service liant l’employeur et l’employé, ainsi que les avantages de faibles importances qui sont conformes aux usages locaux ne sont pas considérés comme des avantages indus (art. 322decies CP).
En outre, les activités non professionnelles, non commerciales ou bénévoles sont exclues du champ d’application des normes précitées[9].
Il sied encore de préciser que le transfert de l’infraction de corruption privée dans le code pénal, n’a pas induit la suppression de l’art. 4a LCD. En effet, la corruption privée définie à l’art. 4a LCD permet, encore, aux personnes atteintes dans leurs intérêts économiques de faire valoir, sur le plan civil, les droits de l’art. 9 LCD, soit, par exemple, d’agir en dommages et intérêts.
Poursuite d’office de la corruption privée
Sous le régime de la LCD, l’infraction de corruption privée n’était poursuivie que sur plainte du lésé, contrairement à la corruption d’agent public dont la poursuite à lieu d’office, c’est-à-dire, sans qu’il soit nécessaire au lésé de déposer une plainte pénale. Cette situation était considérée comme insatisfaisante, et ce, à plusieurs égards.
Tout d’abord, parce que les trois conditions permettent que la poursuite d’une infraction ne se fasse que sur plainte n’était pas remplies dans le cas de la corruption privée, soit[10] :
- « le caractère minime de l’atteinte au bien protégé » ;
- « le rapport étroit et personnel entre l’auteur et la victime » ; ou
- « l’intrusion excessive des autorités pénales »[11].
En effet, la corruption privée ne touche pas uniquement les intérêts des parties à une relation commerciale mais peut nuire aux intérêts de tiers et aux intérêts publics si les relations commerciales sont entachées de corruption. La corruption privée nuit en réalité à l’économie toute entière et c’est pourquoi, elle se devait, selon le Message du Conseil fédéral, d’être poursuivie d’office[12].
Ensuite, depuis l’entrée en vigueur de la norme réprimant la corruption privée dans la LCD le 1er juillet 2006, aucune condamnation n’a été prononcée[13]. Ce constat laisse ainsi penser que les acteurs privés préfèrent conclure des transactions à l’amiable plutôt que de porter plainte, lorsque la poursuite n’a lieu que sur plainte[14].
La poursuite de la corruption privée a donc désormais lieu d’office. Cela dit, le législateur a jugé préférable de conserver la condition de la plainte dans les cas de peu de gravité (art. 322octies al. 2 et 322novies al. 2 CP).
Elargissement du champ d’application des dispositions incriminant l’octroi et l’acceptation d’un avantage indu par un agent public
Contrairement aux art. 322ter et 322quater CP, les art. 322quinquies et 322sexies CP concernant l’octroi et l’acceptation d’un avantage indu n’incriminent pas le fait, pour un agent public, de promettre, octroyer ou accepter un avantage indu pour l’exécution ou l’omission d’un acte qui soit contraire à ses devoirs ou qui dépend de son pouvoir d’appréciation. Ces dispositions sanctionnent le fait, pour un agent public, d’accepter ou de recevoir un tel avantage, pour exercer les devoirs qui sont déjà à sa charge et donc qu’il est déjà obligé de faire. Ces articles représentent une forme atténuée de corruption[15].
Dans leur ancienne teneur, les art. 322quinquies et 322sexies CP ne couvraient pas les cas dans lequel l’avantage indu était octroyé à un tiers pour que l’agent public, lui-même, s’exécute[16].
Le cas dans lequel le corrupteur offrait un avantage indu, par exemple, à un parti politique cher à l’agent public, afin de l’influencer à exécuter un acte prévu par sa fonction, n’était pas incriminé par le droit suisse.
Or, selon une récente évaluation faite par le Groupe d’Etats contre la corruption du Conseil de l’Europe (GRECO), ces dispositions n’étaient pas en conformité avec les obligations internationales de la Suisse[17].
Le législateur a donc décidé d’y remédier et d’inclure dans la norme le fait d’octroyer ou d’accepter « (…) un avantage indu en sa faveur ou en faveur d’un tiers (…) ».
Notons encore que l’octroi et l’acceptation d’un avantage indu n’existe pas dans le secteur privé où une approche restrictive est privilégiée[18].
Conclusion
Le renforcement des normes pénales anti-corruption permet ainsi à la Suisse d’une part, de se conformer à ses obligations internationales et d’autres part, de renforcer sa réputation et par là, de démontrer qu’elle reste une place de premier ordre pour les investisseurs étrangers et les organisations sportives internationales.
L’on notera cependant que le législateur a confirmé son choix de ne pas faire de la corruption privée une infraction préalable au blanchiment d’argent, contrairement à la corruption d’agent public. En effet, l’on considère, de manière générale, que la corruption d’agent privé est d’un degré de gravité moindre[19].
Enfin, les autorités s’attendent à une augmentation des condamnations en matière de corruption, et ainsi du nombre de procédures au niveau cantonal. Cependant, il semble que ce soit justement là l’objectif du législateur.
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Footnote
[1] Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal du 30 avril 2014, , FF 2014 3433, RS 14.035, p. 3436.
[2] Message, p. 3436.
[3] Message, p. 3434.
[4] Message, p. 3435.
[5] Message, p. 3443.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Message, p. 3444.
[9] Message, p. 3441.
[10] Message, p. 3439.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Message, p. 3439.
[14] Message, p. 3439.
[15] Message, p. 3444.
[16] Message, p. 3444.
[17] Message, p. 3444.
[18] Message, p. 3450.
[19] Message, p. 3449.